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Une danse à deux temps. L'acteur et la caméra.


Sefirin Kizi d'Emre Kabakusak


©Cathie Hubert, Juin 2020, Artiste, professeur, auteur, poésie. Master en Etudes cinématographiques, Nice University.


Au cinéma, les plans généraux permettent à l’action de se dérouler , aux paysages et arrières plans de mettre en contexte l’histoire et aux gros plans ou très gros plans de cerner de près ce qui se passe à l’intérieur des personnages. La série Sefirin Kizi n’y fait pas exception, qui alterne les séquences d’actions et les scènes intimistes. Les personnages qui gravitent autour de Sancar Efe et Nare sont souvent filmés en plans moyens, contrairement aux deux personnages principaux.

Je voudrais m’attarder ici sur le personnage principal Sancar efe, magistralement interprété par  Engin Akyürek, en passe de devenir un acteur icone.  A mon sens, les ressorts dramatiques de la série entière, partent de lui pour y revenir sans cesse, l'acteur ici est au coeur du dispositif cinématographique, il agit comme lien dans la narration mais il est aussi l'épicentre des relations entre les protagonistes de la série. Il est au coeur du dispositif cinématographique. Et la relation entre la caméra et l’acteur  prend la forme d’une danse.

Dans les plans moyens et plans généraux, Sancar, l’efe au sang chaud et à la passion bruyante, déboule, se précipite, court, repart, surgit, parade, raille et attrape, menace ou danse, en perpétuel mouvement. C’est le Sancar bouillonnant, tout entier dans le geste, il occupe l’espace, arpente les champs d’oliviers comme un damné, tombe à terre mais regarde le ciel, se retourne sans crier gare, se précipite hors des maisons demande des comptes, arrache des aveux. Dans ces plans d’ensemble,  Engin Akyürek acteur total danse avec la caméra, ses bras comme des ailes il tournoie, ses mouvements ancrés dans la terre, viril et élégant, fier et belliqueux. Solaire son corps dessine l’espace, traverse le paysage, le pourfend, en repousse les limites.

Et puis l’espace rétrécit, la caméra se rapproche de lui, scrute son visage, où se manifestent ses sentiments sa pensée et son âme, et nous passons de l’extérieur à l’intérieur, du dramatique au lyrique, du bruit au silence. 

Episode 14 Sancar pleure devant sa cabane et prononce enfin le nom de Nare. Les imperceptibles palpitations du chagrin tracent sur son visage l'histoire de ses doutes. Là soudain, il ne reste que le silence et la douleur de cet homme atteint en plein coeur. Fin de l’épisode 15, quand Nare le fait sortir de chez elle et qu’il s’écroule devant sa porte, brisé, abasourdi, la caméra encore vient chercher au plus près, les ruissellements de sa peine. Episode 13, il s’approche d’Akin prisonnier au moulin. La caméra en très gros plan sur ses yeux noirs charbon expose ce regard là, froid, sans fond, qui parle de mort. Ce qui se consume dans son âme et son coeur est visible, lisible dans ces gros plans.


Il faut l’extraordinaire talent d’Engin Akyürek pour exprimer le désespoir meurtrier qui habite alors Sancar. On pourrait ainsi continuer tant les exemples sont nombreux. Acteur complet Engin Akyürek oscille entre les deux avec un égal talent.

Cet aller retour stylistique du plan moyen au gros plan, est symbolique de la dichotomie qui se joue dans la vie de Sancar, cet écartèlement entre ce qu’il fait ou pense devoir faire, sa fierté, son énergie vitale, ses peurs ses regrets, ses excès et les silences de sa bouche, lorsque ses yeux parlent tandis que la caméra scrute les insaisissables mouvements de son âme.


Engin Akyürek acteur de la démesure, passe du mouvement à l'immobilité avec brio et il excelle dans les deux, équilibriste sans corde, il danse dans l'espace.

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